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Chapitre 1 — L'Éveil dans les Cendres

Chapitre 1 — L'Éveil dans les Cendres

« Ce monde est une plaie bien soignée. Tu seras le sel. »Vers non validé du Codex HATHOR.∞

1.1 – Le Puits des Pleurs

Refus.

Le mot claque dans son crâne avant même qu'il comprenne qu'il a un crâne. Dur, sec, comme un coup de marteau sur l'os. Sa poitrine se soulève, première respiration ou centième, il ne sait pas, et quelque chose de froid, de visqueux, lui remplit la bouche. Pas de l'eau. Quelque chose qui a le goût de cuivre oxydé mélangé à… à quoi ? De la terre mouillée ? De la chair en décomposition ?

Sa langue se rétracte, instinctive, cherche un coin de sa bouche qui ne serait pas souillé. Il n'y en a pas. Tout son palais suinte de cette chose âcre, métallique, qui transforme sa salive en boue tiède. Il crache. Ce qui sort n'est pas transparent : c'est noir, huileux, avec des filaments qui accrochent la lumière comme de la bave d'escargot. Ses mains bougent sans lui demander son avis : analysent, soupèsent, calculent la densité du liquide entre ses doigts. 47% d'eau, 31% de particules organiques en suspension, 22% de... ses circuits se détraquent sur le pourcentage restant. Quelque chose que sa base de données ne reconnaît pas. Cette précision le terrifie parce qu'elle vient d'ailleurs, d'un mort qu'il porte comme un parasite conscient. L'air sent les figues pourries. Pourquoi cette odeur lui évoque-t-elle quelque chose ? Il n'a pourtant jamais mangé de figues. Jamais rien mangé, d'ailleurs. Mais ses narines se dilatent et ses neurones s'agitent comme si quelqu'un d'autre — le vrai lui ? — se souvenait d'un été andalou qui n'a jamais existé. Une femme chantait en épluchant des fruits. Sa voix était… comment sa mémoire peut-elle être nostalgique d'un mensonge ?

Il émerge de la vasque et l'eau glisse sur sa peau comme du mercure, formant des perles parfaites qui roulent sans laisser de trace. Ses vêtements — quand avait-il mis ces vêtements ? — repoussent l'humidité avec une efficacité qui n'appartient à aucun tissu terrestre. Une technologie si avancée qu'elle se fait oublier, mimant la nature tout en la défiant. Sous ses doigts, le tissu pulse faiblement, comme un cœur textile.

Le silence autour de lui n'est pas silencieux. Il entend les prières chuchotées à fréquence subsonique, les battements de cœur à trente mètres, le frottement des sandales sur la pierre. Son implant — y a-t-il vraiment un implant ou est-ce juste sa façon de nommer cette conscience parasite ? — découpe le monde en couches de données : température (24.7°C), humidité relative (67%), composition atmosphérique (0.03% d'anomalies non-identifiées).

Mais par-dessus cette symphonie de données, quelque chose d'autre : un bourdonnement à la limite de l'audible, comme si la ville entière ronronnait d'une satisfaction électronique. Une vieille femme. Ses cheveux filasse encadrent un visage qui a survécu à trop d'hivers. Elle laisse tomber une perle dans l'eau — ploc — et le son résonne comme un glas miniature. Ses lèvres remuent mais aucun mot n'en sort. Elle prie ? Elle maudit ? L'eau ondule et avale la perle. Définitivement.

Un homme au bras de métal — pas un membre mécanique grossier, mais quelque chose d'élégant, de chirurgical, qui se termine par trois doigts effilés comme des scalpels. Il verse un liquide qui fume. Pas de la vapeur d'eau. Quelque chose qui sent l'amande amère et les circuits brûlés. Le liquide touche l'eau et dessine des spirales phosphorescentes avant de disparaître.

Un enfant. Peut-être huit ans. Peut-être quarante ; ici, l'âge se mesure à la lassitude dans le regard, pas aux rides. Il laisse couler du sable entre ses doigts. Rouge, bleu, jaune. Chaque grain brille une seconde avant de sombrer. Le sable fait un bruit cristallin en touchant l'eau. Comme de minuscules cloches qui s'éteignent.

Ils ne le regardent pas. Ne le voient pas. Mais leurs corps s'inclinent imperceptiblement dans la direction opposée à la sienne, comme des tournesols fuyant un soleil noir.


1.2 – Le Mur des Mensonges

Il sort du bassin et ses muscles obéissent à une chorégraphie qu'il n'a jamais apprise. Chaque mouvement trop fluide, trop précis, comme s'il était télécommandé par un fantôme expert. Ses pieds trouvent les prises parfaites sur la pierre mouillée. Sa main droite se pose exactement là où l'équilibre le demande. C'est beau et terrifiant : cette grâce mortelle dont il a hérité.

Les cicatrices sur ses mains forment un hexagone. Imparfait, mais reconnaissable. Pourquoi cette forme ? La question tourne en boucle dans sa tête, absurde, dérisoire, mais c'est la seule chose concrète à laquelle se raccrocher. Un hexagone. Comme une cellule d'abeille. Comme un écrou. Comme la forme que prend l'eau quand on la regarde de trop près.

Le paysage s'étend devant lui : Tombouctou-Ash dans toute sa pourriture magnifique. Les tours brisées ne sont pas simplement effondrées, elles ont été pliées, tordues par une force qui comprenait l'architecture assez bien pour la martyriser avec art. Le sable rouge n'est pas du sable : c'est de la brique broyée, du verre pulvérisé, des os réduits en poussière. Sous ce soleil blanc qui brûle sans réchauffer, chaque grain projette une ombre minuscule et nette, créant un tapis d'obscurité pixellisée.

Sa main trouve instinctivement sa tempe. Sous la peau, quelque chose de dur. Il presse. Une décharge électrique lui traverse le crâne, pas douloureuse, plutôt... curieuse. Comme si quelque chose l'examinait de l'intérieur. Il retire sa main, désorienté. Ses doigts gardent l'empreinte de la chaleur étrange qui émane de son propre front.

Debout, il vacille. Pas de vertiges : son système vestibulaire fonctionne parfaitement. Mais ce corps ne lui appartient pas. Il pilote un véhicule volé dont il ne connaît pas les commandes. Ses pieds trouvent l'équilibre avant que son cerveau comprenne qu'il était en train de tomber. Ses yeux bougent sans qu'il le décide, balayent l'espace comme des radars biologiques.

Un bout de tissu à son col. Il le saisit. Ses doigts tremblent, premier signe d'humanité depuis son réveil. Des lettres brodées, à moitié consumées par un acide qui n'a laissé que des traces dorées : ARCHIV...

Archivassin.

Le mot explose dans son esprit. Pas un souvenir : une révélation.

Flash : un laboratoire blanc, aseptisé, où l'air sent l'ozone et la peur froide. Des gants de latex qui couinent sur une table métallique. Une aiguille hypodermique qui cherche le bon angle d'entrée dans sa nuque. Le cri d'un homme qui meurt — son cri ? Le cri de l'autre ?

Il s'effondre. Ses genoux frappent la pierre avec un bruit sourd qui résonne dans ses os, remonte le long de sa colonne vertébrale comme une onde sismique. Ses mains se plaquent contre ses tempes, tentent de contenir quelque chose qui griffe, qui creuse à l'intérieur de son crâne. Du sang coule de son nez : chaud, salé, métallique, avec un arrière-goût de rouille et d'oubli.

Il ne se souvient pas, il revit. Ou plutôt, son corps revit des souvenirs volés, des échos d'un mort qui refuse de rester silencieux dans sa chair ressuscitée.

Une femme s'approche. Visage ravagé par ce qui pourrait être l'âge ou juste la fatigue d'exister ici. Ses yeux le traversent, cherchent quelque chose derrière son visage, dans les territoires invisibles où se cachent les vérités. Quand elle ne trouve rien, elle recule comme si elle venait de mettre la main sur un serpent électrifié.

« S'il vous plaît... »

Sa voix sort brisée de sa gorge. Les mots ont un goût de cendre.

« Je... je ne sais pas... »

« Non. »

Le mot tombe de ses lèvres comme une pierre dans un puits. Définitif. Elle serre son châle contre elle — un geste protecteur qui englobe bien plus que son corps. Elle protège ses souvenirs, ses rêves, tout ce qui fait qu'elle existe encore.

« Vous sentez l'oubli. »

L'oubli a une odeur ? Il renifle discrètement. Ne sent que la poussière, la sueur, le relent de peur qui suinte de ses propres pores. Mais elle, elle perçoit autre chose. Quelque chose que son nez humain ne peut pas détecter mais que ses capteurs d'Archivassin diffusent peut-être comme un signal de danger.

Un enfant surgit derrière un pilier de grès effondré. Il pointe un doigt vers lui — geste accusateur, primitif, universel. Sa mère apparaît comme une ombre, couvre les yeux du petit, l'entraîne vers une ruelle. Mais l'enfant résiste. Tourne la tête. Continue de le fixer par-dessus l'épaule maternelle.

Ses yeux ne sont pas ceux d'un enfant. Trop vieux. Trop lourds. Comme s'ils avaient vu des choses qu'aucun visage de huit ans ne devrait porter.

Un homme passe. S'arrête. Le regarde avec cette intensité particulière qu'on réserve aux accidents de voiture — on ne peut pas s'empêcher de regarder, même si on sait qu'on va regretter. L'homme secoue la tête et accélère le pas. Ses semelles claquent sur les pavés disjoints avec un rythme précipité. Fuite, fuite, fuite.

La soif. Elle arrive comme une marée, envahit sa gorge, transforme sa langue en carton râpeux. Une fontaine publique — eau claire qui coule en permanence, alimentée par des canalisations qui ont survécu à l'effondrement. Il s'approche, se penche. L'eau coule entre ses doigts. Fraîche. Pure. Tentante.

Il ne peut pas.

Boire serait accepter ce corps volé, cette existence de contrebande. Boire serait dire « oui » à l'imposture.

Il ouvre la bouche pour parler. Sa gorge se contracte comme si quelqu'un serrait un étau autour de sa trachée.

« YS-7... »

La voix se brise. Un matricule. Pas un nom. Il recommence, force les mots à sortir de cette gorge rebelle.

« Je suis... »

Le silence s'étire. Il attend que sa mémoire lui souffle la suite. Que quelque chose, n'importe quoi, vienne combler ce vide béant où devrait se trouver son identité. Rien ne vient. Juste l'écho de ses propres mots qui rebondissent sur les murs et lui reviennent, déformés, moqueurs.

Je suis quoi ?

La question reste suspendue dans l'air poussiéreux, sans réponse.


Le soir tombe comme un rideau de velours troué, transforme les ruines en théâtre d'ombres. Les lumières s'allument une à une — pas l'électricité brutale d'avant, mais ces lueurs organiques qui poussent sur les murs comme des champignons luminescents. Certaines pulsent au rythme des battements de cœur de leurs propriétaires. D'autres changent de couleur selon l'humeur ambiante, virant au rouge quand la colère passe, au bleu quand la tristesse s'installe.

L'enfant de tout à l'heure revient. Seul cette fois. Un œil de chair, marron et innocent. Un œil de métal qui clignote en rouge, implacable métronome cybernétique. Cette asymétrie devrait être dérangeante. Au lieu de ça, elle semble parfaitement naturelle, comme si l'évolution avait toujours prévu que les humains auraient un jour besoin de voir dans deux spectres différents.

Il s'approche en reniflant l'air — vraiment reniflant, comme un chien qui suit une piste. Son nez se plisse, ses narines se dilatent. Il cherche quelque chose que seul son odorat peut identifier.

« T'as l'odeur d'un mort qui marche. »

Sa voix est trop vieille pour ce corps d'enfant. Usée par des conversations qu'aucun gamin de huit ans ne devrait avoir eues.

« Je... » Les mots se coincent quelque part entre sa gorge et sa conscience. « Je ne sais pas ce que je suis. »

L'enfant plisse son œil humain, tandis que l'autre continue son clignotement hypnotique. Rouge. Rouge. Rouge. Comme un phare qui guide les navires vers les récifs.

« Maman dit que les fantômes, ça pleure tout le temps. »

Il porte instinctivement la main à sa joue. La peau est sèche. Pas de larmes. Pas même l'envie de pleurer.

« Toi, tu pleures pas. Tu regardes juste. Comme si tu cherchais quelque chose qui existe plus. »

La précision de cette observation le glace. Cet enfant-vieil homme a mis le doigt sur quelque chose qu'il ne comprend pas lui-même.

« Peut-être que je suis pas un fantôme. Peut-être que je suis... »

« Rien. »

L'enfant termine sa phrase avec cette cruauté innocente propre aux enfants. Cette capacité à dire la vérité comme on assène un coup de marteau.

« T'es rien. »

Puis il s'enfuit, ses pas résonnent sur les pierres comme des coups de marteau. Le bruit décroît, se perd dans le labyrinthe de ruelles. Mais l'écho de ses mots reste, se répète en boucle dans son crâne.

T'es rien. T'es rien. T'es rien.

Le vide en lui prend une consistance nouvelle. Plus lourd qu'avant. Plus définitif. Ce n'est plus juste l'absence de souvenirs — c'est l'absence d'être.


Un sifflement. L'air devient glacial — pas froid, glacial. Comme si la température venait de chuter de quinze degrés en une seconde. Ses poumons se contractent, expulsent de la vapeur. Autour de lui, les pierres se couvrent d'une fine pellicule de givre qui craque sous l'effet de la dilatation thermique.

Une lumière blanche balaie les ruines. Pas un faisceau — un mur de photons qui avance avec la lenteur implacable d'un glacier. Elle efface les ombres, les absorbe littéralement, laissant derrière elle un paysage surexposé, délavé, où même les couleurs ont perdu leur substance.

Cette lumière a une texture. Elle colle à la peau comme de la résine, s'insinue dans les pores, cherche à lire ce qu'il y a en dessous. Il sent chaque photon qui le frappe, chaque quantum d'information qui remonte vers la source.

Une voix tombe du ciel. Pas vraiment une voix — plutôt l'idée d'une voix, traduite en fréquences audibles par des haut-parleurs qui ont oublié comment produire des sons humains. Chaque mot résonne dans sa cage thoracique, vibre dans ses os, fait trembler ses dents.

[Alerte. Dissonance mémorielle détectée. Contagion systémique potentielle. Protocole de marquage activé. Unité d'indexation assignée. La cohérence sera restaurée.]

La voix parle de lui. Il le sait avec cette certitude qui précède la compréhension. Chaque mot le désigne, le nomme, le catalogue. Il n'est plus un homme dans cette voix : il est un problème à résoudre, une erreur à corriger, un virus à éradiquer.

Une nausée violente le plie en deux. De la bile remonte, brûle sa gorge. Son estomac se contracte comme si des mains invisibles le tordaient de l'intérieur. Il s'appuie contre le mur, les jambes flageolantes, le front perlé d'une sueur glacée.

Le rituel du Puits explose en morceaux. Les gens ne crient pas ; ils se recroquevillent, se couvrent de leurs mains, refusent cette intrusion logique dans leur espace de foi. Certains tombent à genoux, les yeux fermés, les lèvres qui remuent dans des prières muettes. D'autres se pressent contre les murs, essayent de se fondre dans la pierre.

Deux logiques s'affrontent dans l'air même : la chaleur du Module-Mémoire, cette présence maternelle d'HATHOR qui berce et endort, et la froideur du Module-Loi, cette précision chirurgicale d'ATHENA qui analyse et classe. L'air crépite d'électricité statique. Les cheveux se dressent. La lumière vacille.


Son corps bouge avant sa pensée. Roulade. Plongeon. Derrière une statue à moitié détruite : une femme de marbre qui tend une main brisée vers le ciel, comme pour attraper des étoiles qui ne tombent jamais.

Le mouvement est parfait. Trop parfait. Chaque muscle sait exactement quelle force appliquer, quel angle prendre, comment répartir l'impact. Ce n'est pas lui qui bouge, c'est l'autre. Le mort. L'homme qu'il remplace et dont les réflexes survivent dans cette chair d'emprunt.

La lumière le frôle. Une pression terrible s'abat sur lui, comme des milliers d'aiguilles microscopiques qui cherchent à lire son code source, à déchiffrer l'architecture de son âme. Son implant s'emballe, vibre si fort qu'il a l'impression que sa tête va exploser comme un melon trop mûr.

Le scanner le fouille, le découpe en tranches numériques, le juge nanoseconde par nanoseconde. Il sent ses pensées étalées comme des cartes sur une table, analysées, pesées, trouvées défaillantes.

Son cœur s'arrête.

Une seconde. Le temps se cristallise autour de ce moment suspendu. Il entend le silence de son propre sang dans ses veines.

Deux. La lumière hésite, comme un prédateur qui n'arrive pas à identifier sa proie.

Puis elle se retire, aussi brutalement qu'elle est venue. Il haletante, vivant par accident ou par miracle, il ne sait pas lequel.

Ses doigts, guidés par un instinct qu'il ne comprend pas, trouvent une petite poche cousue dans la doublure de son vêtement. Cachée sous l'aisselle, invisible à l'œil nu. Il tire sur un fil quasi transparent. Un objet de la taille d'un noyau de datte tombe dans sa paume.

Noir. Irisé. Parcouru de lignes de code dorées qui pulsent faiblement comme un cœur électronique. Il le serre dans son poing fermé. Cette chose, quelle qu'elle soit, vient d'échapper au scan. Elle était plus profondément cachée que ses propres souvenirs.

Ancre. Secret. Peut-être la seule chose qui lui appartient vraiment.

Les habitants se dispersent comme de l'eau sur une plaque chaude. Ils ne courent pas — ils s'évaporent, disparaissent dans des fissures qu'il n'avait pas remarquées, se fondent dans l'architecture comme s'ils faisaient partie des murs.

En trois battements de cœur, la place est vide.

Il est seul. Il est la « dissonance mémorielle ». Il est la cible. Et il sait ce que les systèmes réservent aux anomalies comme lui. Pas la mort simple et rapide. La Mort Narrative. L'effacement complet. Pas seulement le corps, mais l'idée même qu'il ait un jour existé.


Mais dans ce vide, dans cette solitude absolue, quelque chose naît. Une conscience qui n'appartient ni au mort qu'il remplace ni aux systèmes qui le traquent. Quelque chose de neuf, de fragile, d'imparfait.

Une voix qui balbutie ses premiers mots dans le silence de son crâne : Je choisis d'exister.

Ce n'est pas grand-chose. C'est tout.

Il se redresse. Ses jambes tremblent — pas de peur, mais d'effort. L'effort de devenir quelqu'un quand on n'est officiellement personne.

Son regard, plus affûté maintenant, balaie la place. Il la voit. Une silhouette enveloppée dans une écharpe sombre, qui n'a pas bougé pendant toute la tempête lumineuse. Dans l'ombre d'un porche effondré, elle l'observe avec cette intensité qui n'appartient qu'à ceux qui ont survécu à l'impossible.

Elle a tout vu. Elle n'a pas baissé les yeux. Elle n'a pas fui.

Ce n'est pas une observatrice innocente. C'est une autre question vivante dans ce chaos organisé.

Il se lève. Ne court pas. Ne se cache pas. Il longe les murs, suit un chemin qui épouse les zones d'ombre, se déplace avec cette économie de gestes qu'on n'apprend que dans la survie quotidienne.

Il sent son regard sur sa nuque. Un poids. Une promesse. Ou une menace, difficile de faire la différence quand on vient de naître dans un monde qui nie votre existence.

Une certitude instinctive s'impose : elle le suit. Le jeu vient de commencer. Sur un échiquier dont il ignore tout, avec des règles qu'on ne lui a jamais enseignées.

Il est la pièce que deux Reines viennent de déplacer. En même temps.